mardi 15 novembre 2016

Albéric Magnard : "symphonie n°4"


Alberic Magnard fait partie de ces oubliés de l'histoire de la musique. Pas un compositeur mineur, plutôt un compositeur égaré, perdu de vue, négligé. Il faut dire que son histoire personnelle n'a pas laissé beaucoup de chance à la postérité quand, au tout début de la première guerre mondiale, il meurt en défendant sa maison dans l'Oise, incendiée par les troupes allemandes. Toutes ses partitions partent en fumée... Ne seront donc sauvées que celles qui ont été éditées. Le faible corpus, la renommée relative de son vivant et le marché du disque moderne l'ont fait disparaitre dans l'ombre, victime du silence.

Je l'ai découvert par hasard, dans un lot qui m'a été donné. Son nom ne m'évoquait absolument rien, et j'ai été surpris de découvrir que les oeuvres présentes sur l'album dataient du tournant du siècle. Il me semblait pourtant avoir lu pas mal de choses sur la charnière 19è/20è siècles, et je ne me souviens pas d'avoir vu apparaître le nom d'Albéric Magnard.

A l'écoute du premier mouvement de la Symphonie n°4, publiée en 1913, difficile de ne pas penser à Wagner et à César Franck et sa Symphonie en Ré mineur. Mais il n'a pas l'âme d'un disciple et s'il est l'héritier de l'école française de l'époque (il a été élève de Vincent D'indy, ce qui s'entend dans la conclusion de ce premier mouvement, qui n'est à mon sens d'ailleurs pas à la hauteur de ce qui la précède), il accompagne volontiers la modernité d'un Debussy (quelques mesures dans lesquelles la musique s'intensifie, enfle et reflue au coeur du mouvement font inévitablement penser à La Mer). L'écoute fait même parfois venir à l'esprit le Prokofiev néoclassique de Romeo et Juliette: Magnard apporte quelques touches éclatantes de modernité, notamment sur les cordes en motifs tissés qui apparaissent comme une écume éclatante à la périphérie de la masse sonore. Les toutes premières secondes de l'oeuvre, fragmentation d'un accord qui se délite et s'envole vers les aigus, m'ont même fait penser à Edgar Varèse. Ailleurs, dans le "Chant Funèbre" qui clôt la face B, on retrouve des accents de Fauré ("Elegie") ou de Holst...

Albéric Magnard n'est pas un compositeur d'avant-garde, il n'est pas non plus un chaînon manquant entre l'école française de la fin du 19è siècle et le génie de Debussy, qui s'est développé seul. Mais l'écoute de sa musique, par la diversité de sa palette et les réminiscences qu'elle suscite, est un vrai plaisir et fait réellement regretter qu'il ne soit pas plus joué. Grâce doit ici être rendue à Michel Plasson et à l'orchestre du Capitole de Toulouse, qui lui redonnent vie de très belle manière.

dimanche 23 octobre 2016

Gestalt : "le sommeil du singe"

Gestalt était un groupe lyonnais, actif dans la région sud-est auprès de groupes comme Nadja et L'Enfance Eternelle. J'ai trouvé ce disque dans un vide-grenier à Lyon, ce qui n'est pas très étonnant. Il était dans une caisse en bois pleine de disques, et les deux vendeurs (un couple, la vingtaine) m'avaient mis en garde: "attention il n'y a que du classique". Phrase mainte fois entendue, avertissement qui sonne comme une excuse anticipée. J'aime le classique, et surtout, je fouille tout lorsque je chine, meilleure façon de trouver des choses dont même leurs propriétaires n'ont aucune connaissance. La pochette m'a intrigué, le fait que le disque a été enregistré à Saint-Fons aussi, et le logo "Just In", souvenir de mes lectures de la presse rock des années 80, a emporté la décision.

Le groupe pratique sur cet album une new-wave matinée de gothique, qui me rappelle Virgin Prunes pour l'éclatement des structures et l'aspect théatral, outré presque, et le chant habité, mais sans les expérimentations sonores. Musicalement c'est un peu plus habituel, basse glaciale, guitares gorgées d'effets, batterie froide avec l'obligatoire caisse claire noyée de réverbération. Les textes sont en français, bien écrits et tout à fait dans l'air du temps de l'époque, évocation de paysages grisâtres et post-industriels, errances nocturnes, existentialisme. Nous sommes en plein expressionnisme, et le groupe dédie un texte à Bela Bartok. Lorsqu'un accordéon apparaît, cela n'est pas pour convoquer une tradition française de guinguettes et bals populaires, mais plutôt l'Europe de l'Est...

Le livret présente trois poèmes de Laurent Toquet et un de Jean Raine, l'artwork est une reproduction d'une toile de Pierre Raine... On sent l'envie de se faire plaisir en sortant un bel objet, qui a du sens et dont le groupe souhaite être fier. Un bel exemple d'autoproduction des années 1980 (pressage MPO!), avec un son qui n'est malheureusement pas totalement à la hauteur.

Le disque est paru en 1987, sans indication de nom de label à part  "Just in distribution".

Shawn Phillips : "faces"


Légère entorse sur les principes pour ce disque de Shawn Phillips. C'est en effet un disque que j'ai choisi parce que je connaissais le musicien. Mais je ne le connaissais que parce que j'avais chiné au hasard son album "second contribution" quelques mois auparavant, sur la foi de la superbe pochette où on le voit vêtu d'une cape noire, cheveux blonds aux épaules, avec en mains une superbe 12 cordes Gibson... La vendeuse ne se souvenait plus de la musique, le disque n'était pas cher, il me permettait de faire baisser le prix d'un lot, je l'ai mis sous le bras et suis rentré avec... Ce disque m'avait fait forte impression, notamment le morceau "woman". Quand "Faces" s'est présenté à moi je n'ai pas hésité. 

Cet album n'est pas une compilation mais est cependant composé d'enregistrements faits à diverses périodes, dont certains sont sortis auparavant sous d'autres versions. C'est le cas de "L ballade" que j'ai choisi de présenter ici. C'est d'ailleurs pour cette chanson, dans cette version-là, que je publie ce post. La version précédente était parue sur "Contribution", et elle se trouve en fouillant bien sur le net. Mais la version parue sur "Faces" n'est écoutable nulle part. C'est pourtant un joyau: guitare folk placide en arpèges, voix d'une profondeur sans égale, et surtout, progressivement, la mise en place d'un tapis orchestral de toute beauté. Je suis plutôt contre l'apport des orchestres dans la musique pop, et ai la dent dure tant je trouve que le plus souvent l'orchestre sert de cache misère, de caution morale quand ce n'est pas purement et simplement signe d'un caprice. Mon étalon est l'arrangement que Robert Kirby a écrit pour le "River Man" de Nick Drake, et bien trop souvent les orchestrations sont terriblement faibles en comparaison. Sur "L Ballade", les cordes et vents apportent une atmosphère mouvante et habitée proche du travail de Kirby, peut-être plus riche en timbres encore. Le morceau semble basculer dans l'onirisme, il dérive au gré des archets, mais Shawn Phillips sait le ramener sur son chemin initial, sans forcer, même si l'orchestre tente un coup de force sur la fin en laissant trainer les notes jusqu'à former un cluster défiant la mélodie vocale. Shawn Phillips attend que le calme revienne et prononce son dernier mot d'une voix plus dense, plus grave, plus sépulcrale que toutes les cordes réunies. Du grand art.

samedi 22 octobre 2016

Annette Peacock : "Been in the streets too long"



"Annette Peacock... le nom me dit quelque chose... ah il y a Bruford sur le disque, d'ailleurs ça doit venir de là si je la connais... et puis Evan Parker, Chris Spedding... sur un label dont je n'ai jamais entendu parler... Allez, à 1 euros, même si la face B est un peu marquée, qu'est-ce que je risque? Je prends". 

Cet album est une compilation de vieux titres, écrits entre 1965 et 1975, pour certains enregistrés au milieu des 70's, pour les plus récents en 1983. Il est ma porte d'entrée dans la musique si singulière d'Annette Peacock, chanteuse solaire, pianiste improvisatrice ayant participé à la scène New-Yorkaise aux cotés de Gary Peacock, son premier mari, et de Paul Bley, le second. 

Sa musique n'a pas de barrières stylistiques, elle est émanation d'un tempérament affirmé et sa grande beauté vient de sa sincérité. "Been in the streets too long" est le second album paru sur son propre label, Ironic Records, et il regroupe des titres épars auxquels elle devait tenir particulièrement, à raison. Nous sommes loin ici des fonds de tiroirs. L'écoute est passionnante, entre plages denses et accalmies, parfois au sein du même morceau ("so hard it hurts" avec Bill Bruford, Chris Spedding, Brian Godding et Steve Cook), son jeu de piano est économe, tout en résonances, sa voix est tendue et expressive, vibrante. Pas de séduction ici, mais une émotion de tous les instants.

Le titre "Half Broken" présenté ici a été écrit en 1971 et  enregistré en 1983. Annette Peacock est accompagnée par Sol Nastasi aux percussions électroniques. 


Desaunay: "... le beau temps"


Les frères Desaunay sont originaires d'Argenteuil mais, poussés par la vague de retour à la terre des années 1970, ils se sont installés du coté de Limoges, dans les monts du massif central. Luthiers de métier, et musiciens par passion, ils ont enregistré deux albums en trio sous le nom de Desaunay, jamais réédités à ma connaissance. Serge Desaunay est accordéoniste, Patrick Desaunay est guitariste, le troisième larron, Patrick Perroton, est saxophoniste. Ensemble, ils créent une musique qui doit autant au folk qu'au manouche et au jazz. Ils sont parmi les pionniers du renouveau des musiques traditionnelles en France, mais leur musique est toute personnelle: pas d'instruments anciens et d'adaptations du répertoire, pas de pompe manouche ni de chromatismes,  pas de swing ni de drive jazz. Leurs morceaux sont très écrits, d'une tenue mélodique exceptionnelle et ont un je ne sais quoi de désuet qu'ils devaient déjà contenir à l'époque. Une sorte de réminiscence des faubourgs de Paris, croisée avec la ruralité qu'ils ont choisi d'embrasser.

Ce disque m'est tombé dessus dans un lot de jazz. Le vendeur m'en a dit du bien. Comme je prenais l'ensemble je l'ai rapporté et j'ai immédiatement été séduit à l'écoute.

J'ai choisi de présenter "Argenteuil", composition de Patrick Desaunay dans laquelle les guitares ont la part belle avant d'être rejointes par les deux autres instrumentistes. J'aime la clarté du trait, la retenue du jeu, tout entier dévoué à la composition. J'aurais pu tout autant choisir "Valse Joseph" ou "Automne" de Serge Desaunay. C'est un disque que je recommande chaudement, à ne pas laisser passer s'il apparaît au détour d'un bac ou d'un carton...

Le disque est sorti en 1985 sur leur propre label, "arche en ciel".

jeudi 20 octobre 2016

Iegor Reznikoff : "Alleluias et Offertoires des Gaules"



Un des disques les plus étonnants qui soient, enregistré en 1979 par Iegor Reznikof, sans indication de lieu. 
Le disque ne comprend que du chant solo, a capella, une voix masculine profonde et modulée qui installe immédiatement une atmosphère de très grande sérénité et de profond recueillement. Après quelques minutes d'écoute on discerne un luth ou théorbe qui reprend inlassablement la même note au début de chaque phrase, mais il est tellement loin qu'il faut vraiment se laisser immerger dans la musique pour le percevoir. 
Les chants interprétés sont issus de l'étude directe des manuscrits les plus anciens et de la mise en application des dernières connaissances ethno-musicologiques à l'époque de son enregistrement. Les mélodies datent d'avant l'échelle tempérée et tout l'intérêt du disque est de donner à entendre ces intervalles inhabituels sans qu'il s'agisse d'un exercice purement scolaire. L'aspect sacré de ces mélodies n'est jamais oublié et l'interprétation est empreinte d'une grande ferveur.
L'écoute des onze pièces de cet album permet de retrouver, comme le dit le livret, "la profondeur spirituelle, la résonance cosmique" de ces chants. En effet, le timbre de la voix, le débit, les notes, tout concourt à donner un sentiment "hors du temps et hors du monde", et à brouiller les pistes, nous faisant passer du Népal aux Inuits, à tous ces chants dits "primitifs" qui font vibrer un tronc commun à toute l'humanité. Une merveille, parue en 1980 chez Harmonia Mundi.

La piste 1 est en écoute: